La Salle des Machines fut le premier chantier que le jeune Louis XIV entreprit aux Tuileries sous l?impulsion du cardinal Mazarin, véritable tête pensante du Gouvernement français. En fait, l?affaire fut bien compliquée et releva d?un véritable odyssée où se mêlèrent privilèges, rivalités et mésententes entre les acteurs du chantier.
Le dessein de Mazarin
Au début, Mazarin projetait de construire une nouvelle salle de spectacles pour l?Opéra. Afin de suivre les traces de son illustre prédécesseur, Richelieu, il décida de construire cette salle dans le périmètre immédiat de son hôtel particulier comme Richelieu l?avait fait au Palais Cardinal devenu Palais Royal à sa mort. Cet hôtel se trouvait au niveau de la Bibliothèque Nationale actuelle, rue de Richelieu, dans le tissu urbain dense de Paris. Ainsi le lieu n?était déjà pas très propice à la mise en scène urbaine de cette nouvelle salle, mais le cardinal voulait en plus qu?elle fût en bois. En effet, on était en 1659 et le cardinal désirait que la salle fût achevée pour les festivités du mariage de Louis XIV avec l?Infante d?Espagne, qui eut lieu une année plus tard. Ainsi, pour respecter ces délais, une construction en bois était plus raisonnable.
On fit appel au plus grand architecte-machiniste italien du temps, Gaspard Vigarani, pour réaliser le dessein de Mazarin. Celui-ci vint donc à grands frais de Modène sur l?invitation du cardinal. Malheureusement, Vigarani ne voulut pas entendre parler de réaliser son théâtre d?Opéra dans une cour de l?hôtel Mazarin et il ne voulait pas que celle-ci fut en bois, matériau peu pérenne et trop souvent proie aux flammes.
Le cardinal renonça donc et proposa, sur le bon conseil de son protégé Colbert, de construire le théâtre aux Tuileries. En effet, cela permettait de continuer cette partie du palais laissée inachevée par Philibert Delorme depuis le départ précipité de Catherine de Médicis. Le site était donc plus prestigieux, ce qui flatta plus l?ego de Vigarani et cela permettait en outre de continuer le Grand Dessein commencé par le grand père du Roi, Henri IV.
L?aménagement extérieur
Le lieu était donc trouvé mais il fallait encore voir l?architecture extérieure et intérieure de la fameuse salle. Cependant, Vigarani allait devoir compter sur l?architecte du Roi, Louis Le Vau pour l?établissement de l?architecture extérieure de la salle. En effet, Le Vau avait la main mise sur tous les projets architecturaux entrepris par la couronne. Et c?est à ce moment là que l?affaire se compliqua sérieusement du fait des rivalités entre l?équipe de Le Vau et celle de l?Italien.
Le Vau, par respect pour les bâtiments déjà existants et pour l?harmonie symétrique du palais des Tuileries, décida de réaliser une façade copiant exactement l?architecture réalisée par Androuet du Cerceau sous Henri IV entre les pavillons de Bullant et de Flore. Il conserva de plus la même épaisseur pour les nouveaux bâtiments. Pourtant, cela ne correspondait en rien aux proportions que désirait Vigarani pour l?élévation d?un théâtre pour des raisons techniques de visibilité et d?acoustique. Mais la bonne continuation du Grand Dessein prima sur les réflexions pourtant véridiques de l?Italien et c?est le projet de Le Vau qui obtint l?approbation de Mazarin.
Les rivalités continuèrent par la suite avec la couverture des nouveaux bâtiments. Vigarani voulait un toit en terrasse à l?italienne mais il se heurta au corps des charpentiers qui affirmait vigoureusement que le climat en France et en Italie n?était pas le même et qu?une pente du toit était indispensable au bon écoulement des eaux de pluie afin d?éviter les infiltrations nuisibles à la pérennité des intérieurs. Ainsi, Mazarin donna encore raison aux Français et Vigarani, après ces deux sévères déroutes, perdit entièrement la réalisation extérieure de la salle mais il n?entendait pas partager l?aménagement intérieur que Mazarin lui confia.
L?aménagement de la salle
L?aménagement comprenait en réalité plusieurs espaces à réaliser : l?amphithéâtre et la scène. L?amphithéâtre s?inscrivait dans un rectangle de 28,60 m de long pour 16,50 m de large. De l?extérieur du palais, l?amphithéâtre s?inscrivait dans le pavillon du Théâtre, alors que la scène de 44 m de long prenait le volume entier de l?aile reliant les pavillons du Théâtre et de Pomone (actuellement pavillon de Marsan).
L?amphithéâtre était entièrement doré du sol au plafond, ce qui produisait aux dires des contemporains un effet extraordinaire et sublime. Vigarani conçut cette salle avec un parterre surélevé par rapport à l?avant-scène. C?est à la limite entre ces deux parties que se tenait le dais royal sous lequel Louis XIV assistait aux représentations. On y accédait, depuis un escalier particulier, par un passage réservé au Roi. Le reste du parterre était desservi par des entrées latérales.
L?avant scène était réservée aux musiciens qui entraient par deux portes latérales surmontées d?un balcon magnifiquement ouvragé auquel on accédait par une immense fenêtre : c?était les loges d?honneur. L?avant-scène était séparée du parterre et de la scène par d?immenses colonnes cannelées d?ordre corinthien de 9 m de haut. De chaque côté du parterre, côté Cour et côté Jardin (expression encore utilisée de nos jours dans tous les théâtres français), se tenaient deux rangs superposés de trois loges en balcon auxquelles on accédait par des entresols. Le fond de l?amphithéâtre était constitué d?un gradin au niveau du parterre et de sept loges au premier étage.
Toute la salle avait un pourtour rythmé de colonnes corinthiennes encadrant les loges. Elles avaient une hauteur de 4,50 m au rez-de-chaussée et 2,80 m au premier étage. Les fûts de ces colonnes avaient une base ronde au niveau du parterre alors qu?ils avaient une base carrée au premier étage. Ces deux niveaux étaient séparés par un entablement sculpté assez prononcé. La seconde série de colonnes supportait une corniche faisant le tour de la salle au delà de laquelle se trouvait un garde corps derrière lequel pouvaient encore prendre place quelques personnes juste sous le plafond.
Le plafond devait être à l?origine en forme de voûte mais l?immense charpente du toit ne laissait pas le volume nécessaire et Vigarani fut contraint d?établir un plafond plat en carton mâché pour ne pas alourdir les structures porteuses. L?importante surface laissa place à de multiples caissons dans lesquels se trouvaient des peintures.
En fait, l?Italien pensait pouvoir choisir les sujets pour la décoration mais il se heurta une nouvelle fois aux Français et en particulier avec Charles Errard, premier peintre du Roi, qui voulut composer lui-même la décoration peinte. La composition centrale présentait Jupiter tenant Mars enchaîné et produisant l?Hyménée, allusion à la récente Paix des Pyrénées puisque Jupiter avait ici le visage de Louis XIV. Tout autour de cette peinture éminemment politique se trouvait quatorze toiles rondes présentant de nombreuses allégories théâtrales et des jeux d?enfants.
La scène était encadrée par un sublime portique composé de colonnes corinthiennes soutenant un fronton présentant le blason royal. Sur ce fronton étaient allongées deux femmes vêtues à l?antique et deux chérubins aux gestes amples étaient assis à chaque coin. La gigantesque scène pouvait accueillir de nombreux décors et avoir de beaux effets de perspective. Ces décors étaient actionnés par d?immenses machines très impressionnantes conçues par Vigarani et qui donnèrent le nom à cette salle : la Salle des Machines.
Ainsi, la marge de man?uvre de Vigarani fut très réduite dans ce projet. En effet, les différences culturelles s?ajoutaient aux rivalités et ce manque de coopération entre Français et Italiens retarda beaucoup le chantier. A ceci s?additionna la mort de Mazarin en 1661 qui arrêta les travaux durant quelques temps. Ainsi il fallut trois ans pour élever cette salle fabuleuse, qui en dépit d?une imparfaite acoustique, était remarquablement décorée.
Les représentations données à Louis XIV
En fait, la salle ne fut terminée longtemps après le mariage de Louis XIV qui eut lieu le 9 juin 1660. Elle fut seulement inaugurée le 7 février 1662 avec la représentation d?Ercole Amante mais la salle fut immédiatement abandonnée jusqu?en 1671. C?est à cette date que fut jouée Psychée de Molière. Puis le Roi partit des Tuileries en 1672 et plus rien ne lui fut présenté.
En fait, le Roi organisait les spectacles de cour dans son Grand Appartement, notamment les ballets. Nous pouvons d?ailleurs nous demander les raisons pour lesquelles le Roi utilisa si peu cette salle dont la construction fut certes périlleuse mais qui pouvait tout de même accueillir environ sept cents personnes. Rien aujourd?hui ne permet de répondre à cette question.
Guillaume CRIEF